FROM: Rolling Stone Magazine, French Version, Edition of January 1990-

COVER STORY HEADLINE TITLE: Sting: A-t-il vié le forêt vierge?

Story title: Les Risques du metier.

Slug: Pas facile de sauver la forêt amazonienne. Inventaire de toutes les erreurs auxquelles Sting, arnaqueur ou simple d'esprit, n'a pas échappé en s'y essayant avec notre argent. Par Mark Zeller

Cadre: EXPLOITATION (eks'ploua'ta'sion). Nom feminin. 1. Action d'exploiter, de faire-valoir, utilisation; en particulier, utilisation égoïste, injuste et methodique. S. Par conséquent, action d'abuser é son profit.

L'exploitation de la forêt amazonienne est une bien triste chose. Mais que dire de l’exploitation de l’exploitation de la forêt amazonienne?

La première se manifeste par des colon­nes de fumée sinuant au-dessus d’un océan de verdure. La seconde porte le voile opa­que du sacrifice désintéressé â une noble cause. Par définition, toute exploitation profite a quelqu’un. En l’occurrence, les coupa­bles sont sous les feux de la rampe.

Sting, l’ex-chanteur de Police qui travaille maintenant en solo, a récemment rejoint les rangs des combattants. Brandissant haut et ferme la bannière écologiste, il s’est avancé publi­quement aux avant-postes de ce problème brui­lant. Appuyé par un groupe d’environnementa­listes “pop”, il a déclenché une campagne pour réveiller a lui tout seul la conscience du monde. Enfin, c’est ce qu’il voudrait nous faire croire.

Quiconque sollicite l’argent du public est sujet à un examen minutieux, qu’il s’agisse d’un clochard dans la rue ou de la recherche contre le cancer. Quand des stars vous demandent du fric, elles sont tenues, et c’est normal, de faire plus. Leur célébrité leur donne libre accès aux tout-puissants médias, par le seul pouvoir de leur nom. Moyennant quoi elles se doivent d’être absolument sincères et honnêtes. Test négatif pour Sting.

D’abord, un peu d’histoire. En 1987, Sting était à Rio de Janeiro oû il donnait un concert. Jean-Pierre Dutilleux, réalisateur belge, est venu le trouver. En 1979, il avait pondu un film sur Raoni, le chef des Kayapos, une tribu indienne qui vit dans la forêt brésilienne. Il a emmené Sting et sa “compagne” (que les journaleux appellent franchement ), la fort promet­teuse actrice Trudie Styler, pour un survol de quatre heures au-dessus de la forêt vierge afin qu’ils puissent constater de visu les dégats du déboisement par le feu. Il tenait aussi a les présenter à Raoni. Sting, impressionné, se lance-t-il aussitôt dans la bataille pour essayer d’arrêter le désastre et voler au secours des pauvres Indiens? Ben, pas vraiment.

L’année suivante, alors que la destruction mondiale de la forêt tropicale a fait la une des médias, Sting retourne au Brésil dans le cadre de la tournée d’Amnesty International. Dutilleux, accompagné de Raoni, le recontacte. Cette fois, l’idée de la fondation prend forme. En février 1989, Sting annonce la création de la Fundaçào Mata Virgem (Fondation pour la forêt vierge). Quel est le but de la Fundaçào Mata Virgem ? Enrayer la destruction industrielle de la forêt vierge? Pas exactement. Son premier objectif est de réunir 3,5 millions de dollars pour délimiter un parc naturel en Amazonie, plus particulièrement dans la partie de l’Amazonie oû vivent ltaoni et sa tribu.

Est-ce cela qui va arrêter la destruction indus­trielle de l’Amazonie ? Pas exactement. Considé­rant qu’il représente environ 0,36 % de la superficie totale, ce parc ne signifie pas grand-chose. Mais c’est un bon début. Et ça fait couler de l’encre... Exactement le but recherché.

Sting, escorté de Dutilleux et d’un quarteron de reporters, obtient une rencontre de 45 minu­tes avec José Sarney, a l’époque président du Brésil, et lui demande de soutenir leur cause. Sarney est pressé, il doit se rendre à Tokyo pour les funérailles de l’empereur Hiro Hito, mais il “leur donne le feu vert”. C’est très magnanime de sa part, si l’on considère qu’il donne également le feu vert a quiconque (et n’importe qui) désire foutre le feu à la forêt.

Ce que Sarney a accordé ? C’est très ambigu. Ce qu’on sait, c’est qu’il a bien voulu sourire et serrer la main de Sting, la célèbre star du rock, devant les photographes de presse. Au plus, il leur a permis d’étudier une proposition pour les limites du parc national. Le parc n’existe pas -pas encore - ni la promesse d’autoriser quoi que ce soit. Dans tous les écrits des diverses fonda­tions, un terme revient souvent “le feu vert”. Le président Sarney leur a donné “le feu vert”. Quel “feu vert” exactement, ce n’est pas clairement précisé. Quelle que soit la cause a laquelle Sarney ait donné le “feu vert”, ce feu s’éteindra en mars prochain quand, élection oblige, le nouveau président prendra ses fonctions. On notera d’ailleurs au passage que Fernando Collor de Melo n’a pas manifesté d’intérêt particulier pour les problèmes écologiques et notamment ceux posés par l’Amazonie.

C’est la que l’opération Sting commence a pointer le bout de son dard. Pure naiveté ? Peut-être. Est-ce vraiment l’écologie qui le préoc­cupe ? Peut-être. Mais les faits disent autre chose : soit il exploite le problème, soit il se fait lui-même exploiter.

Vient ensuite une campagne publicitaire àl’échelle mondiale, qui utilise toutes les techni­ques de la vidéo percutante et tape-à-l’oeil mises au point et perfectionnées par les professionnels de la pub. Au lieu de faire la promo d’une lessive, ils s’occupent du merchandising d’un humaniste pop en jouant sur la peur pour collecter des fonds. Il n’y a qu’à regarder le clip télé qu’il a réalisé au profit de sa Fondation pour la forêt vierge : d’abord Sting, puis Sting avec les Indiens, enfin Sting montrant sur une carte les plans de déboisement possibles. Un extrait de documen­taire sur les inondations et autres catastrophes, avec Sting en voix off: «Plus la forêt brûle vite, plus la planète se réchauffe... l’effet de serre... tremblements de terre... ouragans... sécheresse... famines... Je suis inquiet... Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? Si vous voulez protéger la forêt vierge pour sauver les Indiens et pour sauver vos enfants et vos petits-enfants, aidez-nous à créer un vaste parc national ama­zonien en donnant à la Fondation pour la forêt vierge. Tout dépend de vous...»

Attendez, une minute. On repasse la bande. «Tremblements de terre ? » «Tremblements de terre ? ? ? » Tiens, tiens, ça doit être la dernière découverte scientifique ! Des parcelles de forêt amazonienne en feu provoquent des tremble­ments de terre! Sting, le géophysicien pop, a découvert une nouvelle relation de cause à effet pour expliquer la dérive des continents. Que les citoyens de San Francisco se rassurent. Sans parler des victimes des ouragans et celles de la sécheresse, qui connaissent maintenant la cause de leur souffrance.

Bon, et l’argent, alors ? Va-t-il servir à créer un vaste parc national amazonien? Non. Car le terrain qui devait être délimité comprend le Parc national de Xingu, dont le directeur, Mégaron, est le neveu de Raoni, et les territoires adjacents de plusieurs tribus, dont la terre fait déjà l'objet d’une protection couverte par les termes de la nouvelle Constitution brésilienne. En fait, les limites du Parc national de Xingu sont déjà marquées, et d’après la loi brésilienne, celles des autres territoires le seront dans moins de cinq ans. Au mieux, l’argent recueilli pour la démar­cation aidera le gouvernement brésilien à tenir ses engagements, ou sera versé à la Fundaçào Nacional do Indio (FUNAI), un des dépar­tements du ministère de l’intérieur. Dutilleux, et il n’est pas le seul, en est parfaitement conscient. Il nous l'a dit.

Alors pourquoi essayer de convaincre tout le monde que le but est de créer «un vaste parc national amazonien»? Sting a révélé ce que lui et Dutilleux ont dit à un représentant de la FUNAI pour obtenir sa coopération : « La Fonda­tion a besoin d’un projet qui captivera l’imagina­tion des gens. Si nous y arrivons, nous pouvons collecter beaucoup d’argent, mais pour cela il nous faut le projet de démarcation.».

Et la protection des Indiens? Quels Indiens? Si Sting était tellement concerné par l'intrusion dont sont victimes les tribus indigènes, il ne concentrerait pas son action sur Raoni et sa tribu de Kayapos. Les Kayapos sont en sécurité dans leur région amazonienne, ils ne sont pas mena­cés. Il embrasserait la cause des Nambiquara et celle des Yanomami. La tribu des Nambiquara a perdu la moitié de sa population quand la nouvelle route a traversé l'Etat de Rondonia. Ceux qui n’ont pas été tués à coups de fusil quand ils attaquaient les colons ont rapidement succombé aux maladies occidentales contre les-quelles ils n’étaient pas immunisés et n’avaient pas de médicaments.

La tribu des Yanomami, qui vit dans un coin perdu de l’Amazonie près du Venezuela, n’a été découverte qu’en 1950. Elle a continué à y vivre, sans être trop dérangée, jusqu’en 1975, date à laquelle on a, malheureusement pour eux, dé­couvert sur leur bout de continent perdu des gisements d’or, d’uranium et autres minerais à deux pas de leurs jardins. Avide d’exploiter ces richesses, le gouvernement s'est empressé de percer des routes, les mineurs d’ouvrir des mines, et, en un rien de temps, les Yanomami ont dû faire face à une véritable invasion. Ils ont essayé de se défendre, mais ils s’attaquaient à de puissants intérêts politiques, économiques et militaires qui bénéficiaient de l’appui total de l’Etat. Comme les Indiens d’Amérique du Nord, leur sort était décidé d’avance.

Pendant que Sting s’engage sans risques au­près des Kayapos et de leur forêt vierge non exploitée, les Yanomami, dans leur enclave riche en minerais, se font joliment décimer. Pendant qu’il trimballe, devant la presse et les micros, Raoni, paré de sa coiffure indienne et d’un jogging bleu tout neuf, les Yanomami sont confrontés au fond de leur jungle aux mineurs et à leurs fusils. Où était passé Sting en décembre 1988, quand la conférence des évêques brési­liens s’égosillait sur le thème “les Yanomami sont en danger d’extermination. Ils se font massacrer comme s’ils n’étaient pas des êtres humains”? De quoi s’occupait-il ? D’une conférence de presse qu’il donnait à Londres. Pour dénoncer le sort tragique des Indiens et brandir la bannière de la solidarité? Pas exactement. Il annonçait sa nouvelle campagne: une nouvelle chaîne de restaurants végétariens et une société distribuant des produits “qui préservent l’environnement”, regroupés sous la marque Ark. Non, il n’y a pas de boeuf brésilien dans ses végé-burgers et ce ne sont pas les savons et détergents Ark qui pollue­ront l’Amazone.

Pendant que les Yanomami continueront de se faire trucider par les mineurs, les Londoniens seront ravis de mastiquer des burgers au soja servis par le célèbre capitaliste défenseur de l’environnement, Sting. Alors que quarante ton­nes de mercure sont déversées chaque année dans les affluents de l’Amazone pour en filtrer l'or, les ménagères qui font leur shopping chez Harrod’s préservent l’environnement sans re­noncer à leur blanc éclatant. Aux côtés de ses associés d’Ark, David Bowie, Chrissie Hynde, et le producteur de cinéma David Puttnam, Sting fait de l’écologie à but lucratif. Y’a de l’exploita­tion dans l’air, pas seulement celle de la forêt vierge. C’est dur, mais, comme disaient les Romains : “Res ipsa loquitor” (les faits parlent d’eux-mêmes).

La destruction de la forêt amazonienne est un des éléments essentiels de la politique gouver­nementale du Brésil. Son but: déboiser à des fins productives et ouvrir l’intérieur du pays au nom de la “défense nationale”. On comprend alors pourquoi le président Sarney n’a pas pris, au cours des quatre ans où il a dirigé le pays, des mesures draconiennes pour enrayer la destruc­tion de la forêt. Confronté à une économie stagnante et à une dette extérieure exorbitante, il a compris que la forêt était un bien monnayable et il l’a monnayée. La majorité des terres déboi­sées sont utilisées comme pâturages, alors que pour différentes raisons, l'élevage n’y est pas rentable. Malgré cela il apporte des devises quand la viande est exportée et réduit les impor­tations quand elle est consommée sur place. Les éleveurs bénéficient donc de fortes réductions d’impôts. En dix ans, l’Etat a dépensé plus d’un milliard de dollars en subventions pour mainte­nir la viabilité de cette industrie, encourageant du même coup la destruction de la forêt. Les impôts sur les terres déboisées sont faibles comparés à ceux qui frappent la forêt. Le moyen le plus économique de déboiser la forêt (donc de payer moins d’impôts), c’est d’y foutre le feu. De plus, un colon peut prétendre à la propriété d’un terrain forestier à la seule condition de l’avoir “amélioré”, c’est-à-dire déboisé.

Par ailleurs, les militaires brésiliens veulent que la forêt soit défrichée : avec des voisins comme le Pérou, la Bolivie, le Paraguay et l’Argentine, l’accès aux frontières permet à l'armée d’accroître son influence sur la politique intérieure et étrangère. Le meilleur moyen de donner aux militaires, qu’il convient de ne pas contrarier ce qu’ils demandent sans engager les fonds du gouvernement, c’est d’encourager l’industrie du bois. La coupe du bois nécessite dcs routes et des communications. L’exportation du bois génère des revenus et des emplois, développe les res­sources nationales, ouvre l’intérieur et apaise les généraux. Tout le monde est content et ça ne coûte pas un sou au gouvernement. D'habitude, mais pas toujours.

Exemple : on avait prévu une délicieuse petite route reliant l’Etat d’Acre, au coeur du bassin amazonien, et le Pacifique, qui aurait permis d’acheminer vers le Pacifique les bois durs taillés dans le bassin amazonien au lieu de les transpor­ter sur plus de 3 000 kilometres le long du fleuve jusqu’à l’Atlantique. Et sur la route on perd moins de bois que par la voie fluviale. La Banque mondiale était décidée à financer les travaux. Elle s’est rétractée en voyant monter la pression politique internationale contre le déboisement. Le Japon, principal acheteur des bois tropicaux du Brésil, a proposé de prendre la construction à sa charge. Marché conclu.

L‘affaire ne s’est pourtant pas faite. Entrée de Président George H.W. Bush qui, essavant de mériter son étiquette de président écologiste, a entamé un bras de fer avec les Japonais pendant les funérailles de Hiro Hito pour qu’ils renon­cent à financer cette autoroute. Quand Sarney a entendu ça, il a piqué une colère monumentale. Le Japon et les Etats-Unis osaient s’ingérer dans les affaires brésilien­nes! Il proclama la route priorité nationale et fit savoir que le gouvernement brésilien en paierait la construction. Donc, la route avance et le Japon aura ses livraisons de bois dur.

L’ex-président Sarney n’a-t-il pas été hypo­crite? Donnant un jour le “feu vert” à Sting, contribuant un autre jour à la destruction de la forêt. Pourtant sa position était d’une clarté éblouissante. Alors qu’il était encore à la tête du pays, il a décrit les environnementalistes comme “le cheval de Troie” qui permet de masquer la mainmise étrangère sur le développement mili­taire et économique du Brésil. Contestant les propos de la Banque mondiale qui affirme que 12% de la forêt ont été détruits, il affirmait que les mêmes photos du satellite LandSat prouvent que le taux de destruction ne dépasse pas 6%. Il dénonçait un vaste complot des multinationa­les dont le véritable but avait été de maintenir sous contrôle les prix mondiaux du marché des métaux et de retarder l’exploitation dcs impor­tantes ressources brésilienncs jusqu’à ce qu’elles soient en mesure d’acheter le terrain <> braillait-il avec la fer­veur du nationaliste a tous crins.

Le ministre péruvien des Affaires étrangères, Guillermo Larco Cox, a été tout aussi direct en dénonçant la pression qu’exerce l'étranger pour la préservation de la forét. Il a précisé que les pays de la région amazonienne n’accepteraient pas que << notre conduire nous soit dictée par des gens qui· veulent jouer aux petits chefs >>.

Le Brésil a bien l’intention de développer ses ressources minérales, mais l’industrie minière nécessite le l’énergie. Electrique. Pendant que tous les regards sont braqués sur les incendies, la destruction de la forêt par inondation passe pratiquement inaperçue. Pour extraire les mine­rais de fer, d’étain, de bauxite et d’or, ainsi que pour satisfaire les besoins de la population, qui augmentera de 60 millions (et atteindra les 200 millions) d’ici à l’an 2000, le Brésil a prévu 90 barrages hydroèlectriques et repéré 136 sites possibles. la région de l’Amazone étant topogra­phiquement assez plate, de grandes étendues de forêt devront être inondées pour obtenir une production d’énergie relativement faible. Les écolos évitent d’aborder le sujet, car les alternati­ves ne sont guères plus souriantes : la création de centrales nucléaires ouvre la porte au milita­risme, l'utilisation systématique des hydrocarbu­res accroît la pollution. Le Brésil doit continuer à développer sa puissance économique pour assumer ses besoins futurs et, dans l'immédiat, faire face à sa dette extérieure :115,9 milliards de dollars. Le remboursement des intérêts a repré­senté à lui seul près de 11 milliards de dollars en 1988. Belle collection de zéros.

Sur quoi débarque une poignée d’écologistes bien intentionnés et bien élevés qui pensent que la préservation de l’environnement n’aura de succès que si elle est profitable. Ils mettent donc au point un deal: “échange dettes contre protec­tion de la nature”. Les banques occidentales, inquiètes, avaient commencé à faire une croix sur la dette qui ne valait plus grand-chose. Voilà qu’elles peuvent la vendre (pas cher, mais enfin) à un front écologiste qui va à son tour en faire don (en dollars) au Brésil, qui en échange émettra des obligations en monnaie nationale d’un montant équivalent (!) qui seront offertes à un Institut national de l’environnement chargé de la protection de la forêt. Génial, non ?

Si ce projet recueille suffisamment de soutiens, particulièrement en utilisant des noms célèbres pour susciter une mobilisation politique, les pays industriels et leurs banques seront plus ou moins contraints d’échanger la dette extérieure du Brésil contre la préservation de la forêt. C’est très émouvant, cette idée de réduire une lourde dette extérieure contre la simple promesse que la forêt sera sauvée. Avec toutes ces terres d’Indiens protégées par la loi à marchander, le Brésil a de bonnes raisons de s’accrocher pour obtenir un maximum. Il s’agit de milliards, avec tous leurs zéros. Pas étonnant donc que Sarney apporte a Sting un appui aussi entier que total. Plus Sting et sa cohorte feront de bruit, plus grand sera le potentiel de dette effacée. Dans le même temps, quel est le discours officiel des Brésiliens ? << Continuez à abattre ces arbres et à exporter du bois dur contre des devises solides. Goudronnez les routes qui conduisent aux mines. Continuez à extraire les minerais et à bâtir des barrages. » C’est cela le langage de l’exploitation. Et de l’hypocrisie.

Et le message altruiste de Sting pour sauver la forêt? Un récit plein de bruit et de fureur et qui ne signifie rien. Merci Shakespeare. La destruc­tion de la forêt amazonienne et des autres forêts d’Amérique latine compte pour 7% à 10% du dioxyde de carbone déversé dans l’atmosphère. Pas grand-chose à voir avec “l’effet de serre”. 70 % des 2 ou 3 milliards de tonnes de C02 rejetées dans l'atmosphère chaque année vien­nent de la combustion du pétrole et de ses dérivés par les nations industrialisées. Si ça ne suffit pas pour chauffer la serre, il y a encore tous les produits qui détruisent l’ozone et que les pays industrialisés déchargent et déchargeront dans l’atmosphère. Là sont les véritables coupables. Les voitures, l'électricité, l’essence et le charbon que nous utilisons. La technique des brûlis des tribus africaines pour défricher la savane et la rendre cultivable compte pour trois fois plus de C02 que la partie amazonienne brûlée. C’est un problème dont on parle moins. De toute façon, une fois de plus, il est quasiment impossible d’y changer quoi que ce soit.

Dans les deux cas, la majorité des coupables sont des petits paysans qui s’évertuent à nourrir leur famille et qui ne peuvent absolument pas comprendre en quoi brûler quelques centaines d’hectares d’une immense terre sauvage pour planter de quoi manger peut mettre le monde en danger. Ils n’ont jamais entendu parler de Sting et ils s’en balancent. En défrichant quelques hectares de plus, si les dieux sont gentils et leur apportent une bonne récolte, ils pourront peut-être mettre une de ses cassettes dans leurs épinards et l’écouter sur un walkman dont les circuits auront été nettoyés au Fréon.

Sting sait tout ça. «Si j’étais un pauvre Brési­lien chargé de famille, je serais sûrement avec les autres en train de brûler un morceau de la forêt.» Mais il n’est pas un pauvre Brésilien. Il est une star pleine aux as qui veut devenir “pop-écolo”. Il exploite les Indiens, il exploite la presse et il exploite le public. Si encore il se contentait de réveiller les consciences, on pourrait l’excuser. Mais il essaie de ramasser du fric. Il utilise son statut de star pour passer à la télé et il demande aux vieilles dames assises seules dans leur salon de lui envoyer 100 francs de leur pension. Et il ne le fait pas honnêtement. La, pas d’excuse.

Où va Vargent? A quoi sert-il ? C’est un autre sac d’embrouilles. Sting a commencé par tourner son clip en sept langues. Assis devant la caméra, il lisait le message, écrit phonétiquement, qui défilait sur le prompteur. Sa prononiciation avait été corrigée juste avant par un prof de langues. Les clips ont été distribués aux différentes fonda­tions pour la forêt vierge qui ont été lancées au moment de la tournée mondiale avec Raoni. Chacun de ces groupes est séparé et autonome, même si Sting, Trudie Styler et Dutilleux font partie de presque tous les conseils d’administra­tion. Les amis, associés et parents ont aussi leur rôle à jouer. Le père de Dutilleux, par exemple, est à la tête de l’organisation belge.

Chacune de ces fondations indépendantes a ses propres programmes : personnel, matériel et dépenses. Chacune emploie sa méthode de collecte de fonds et n’est pas responsable - à part entière - devant l’association internationale. Les demandes de fonds sont soumises par la fonda­tion internationale aux groupes nationaux indé­pendants qui sont libres d’envoyer l’argent pour qu’il soit utilisé au Brésil ou de refuser.

Combien d’argent exactement a été perçu en donations? Difficile à dire. Mais la fonda­tion internationale a collecté plus d’un million et demi de dollars. Ce qui veut dire que les fondations nationales ont collecté davantage. La plus grande partie du fric se perd dans un labyrinthe de comptables, d’avocats, de salaires d’employés et dépen­ses de bureau. Seul un petit pourcentage des donations arrivera du côté de l’Amazonie.

Exemple : Dutilleux et ses amis, parmi lesquels on a remarqué Trudie Styler (Mrs. Sting) vien­nent de lancer à Paris l’Association pour la forêt vierge. Ils ont organisé une somptueuse fête-collecte de fonds-campagne de presse dans un restau parisien à la mode, le Ledoyen. Ils en ont profité, dans les confins de ses panneaux d’aca­jou, pour fourgner 150 lithographies d’un pein­tre italien, Giuliano Mancini, à 12 000 francs l’une. Avec la bénédiction publique de Pelé, la superstar du foot brésilien, l’objectif était de rassembler des fonds pour l’association, donc pour la protection de la forêt vierge. Un malin a signalé à l'un des fondateurs que sa litho auto­graphée portait des numéros de 44 à 400 alors que le tirage était censé être limité à 150. La fondatrice a eu un peu de mal à expliquer ce qui était arrivé aux 250 lithos manquantes. «Elles ont peut-être été détruites », dit-elle. P’t’êt’ben.

Un autre membre fondateur a expliqué la situation en précisant que le peintre avait, en fait, donné 200 lithos signées, et que 50 autres avaient été offertes en cadeaux et promotions. Et les 200 autres? «Je ne sais pas. Le peintre les a peut-être gardées. » P’t’êt’ben. Et à qui allait être versé le montant de la vente de ces oeuvres d’art? Ben... La moitié seulement ira à la Fonda­tion. L’autre moitié sera partagée entre les divers participants, notamment l’agence de presse qu’on a fait venir pour couvrir l’événement. Et quel événement! Etaient présents: une prin­cesse, une star de cinéma et un tas de pékins merveilleusement fringués accompagnés de su­perminettes en robe du soir. Plus Dutilleux, sans parler, bien sûr, de Trudie Styler.

Ils étaient là, debout, à s’empiffrer de caviar, de crevettes et de champagne en regardant un documentaire signé Dutilleux, quinze minutes sur la destruction de la forêt vierge, et à se lamenter, comme c’est terrible, gulp, munch, tout ça. Cette prise de conscience n’a pas aigri le joyeux pop des bouchons de champagne. Dans une fête, faut c’qu’y faut. Et puis, c’est pour une oeuvre charitable. Sauf qu’elle est payée avec le fric des donations pour la forêt vierge. Mlais ça, c’est l’ABC de l’hypocrisie.

Ensuite, la foule, et plus particulièrement la presse, a été invitée à la projection privée d’un film tout neuf, Fair Game, dont la vedette était, je vous le donne en mille, Trudie Styler! Quel rapport avec la destruction de la forêt amazo­nienne ? Tout le monde l’ignore. C’était une très bonne promo pour un très mauvais film. Quand je dis mauvais, ça dépend si vous avez vraiment envie de vous faire embikiner par Mrs Sting pendant 90 minutes. Utiliser le problème de la forêt pour faire la promo de son film, c’est moitié hypocrisie, moitié exploitation.

Mais vous n’avez pas tout vu. Après la projec­tion de son documentaire, un peu brouillé par le champagne, Jean-Pierre Dutilleux, écologiste de choc, s’est levé et a prononcé un speechounet de cinq minutes sur le théme “la destruction de la forêt est une horreur à laquelle nous devons tous essayer de mettre fin”. Devant le micro et les appareils photo, il portait un ensemble kaki froissé et arborait un collier blanc géant. Sitôt le micro éteint et les appareils photo rangés, Dutilleux s’est fondu dans la foule caviarivore. Aux questions suscitées par son étrange collier, il a répondu qu’il avait été fabriqué spécialement pour lui par un de ses amis. De quoi était faite cette partie large et blanche qui en formait le centre ? « Des morceaux de vieilles touches de piano », a-t-il répondu d’un air évasif. Vous voulez dire de l’IVOIRE? Ce pour quoi ils exterminent les éléphants dans les forêts ? De l’IVOIRE? Le truc que des braconniers à tron­çonneuse arrachent des éléphants d’Afrique, à un rythme tel que la race est menacée d’extinction à court terme ? De l’IVOIRE ? << Ben, oui, >> murmura-t-il, << mais ne le répétez pas.>> Alors ça, si c’est pas de l’hypocrisie ! Tenir une conférence de presse en tant que défenseur de l’environnement avec des bouts de défenses d’éléphants morts autour du cou!

Et Sting là-dedans ? Il n’a pas pu assister à la conférence de presse, mais il vient de sortir un livre. Chanteur, acteur, écolo­giste, restaurateur, vendeur de savonnettes à quat'sous, il nous offre aujourd'hui Histioires de Jungle: Le Combat pour l'Amazonie, qu’il a écrit avec son pote Jean-Pierre Dutilleux. Un porte-parole des édi­tions londoniennes Berry et Jenkins a précisé que «toutes les royalties seront versée à la Fondation pour la forêt vierge ». Personne n’aime discuter de profit, mais quiconque a vu un contrat d’éditeur sait que les royalties ne vont jamais chercher très loin, sauf pour les super best-sellers. Dutilleux confirme que « toutes les royalties seront versées à la Fondation pour la forêt vierge ». Il était moins chaud pour parler de profit. Mais il a reconnu qu’il avait été payé pour écrire le livre et que la Fondation attendait toujours son premier chèque de royalties. Ce qui pose un autre problème.

Et Sting ? A-t-il été payé pour écrire le livre ? « Je crois que c’est à lui qu’il faut le demander », nous a répondu Dutilleux. Bon... On a posé la question à Sting (voir au dessous). Il n’y a pas de preuves. Aucune allégation non plus pour dire que les principaux protagonistes, Sting, Trudie Styler ou Jean-Pierre Dutilleux, ont pris un seul centime des fonds reçus en donation. Ils en ont pourtant tiré un bénéfice incontestable.

Pour Trudie Styler, les bénéfices sont intangi­bles. Elle atteint un niveau de reconnaissance et de notoriété qu’elle n’aurait jamais obtenu en n’étant que la “compagne” d’une star du rock. Membre respecté du conseil d’administration de nombreuses fondations pour la forêt vierge, elle est sollicitée comme une autorité en matière de déboisement et d’environnement. Tout ça sans la moindre formation scientifique, économique ou universitaire. « Je ne suis pas une scientifique, >> dit-elle. << Je suis une actrice et une mère. »

Pour Jean-Pierre Dutilleux, les bénéfices sont plus tangibles. Il a reconnu avoir été au bord de la faillite en 1986, avant d’avoir intéressé Sting au problème de la forêt vierge. « J’ai dû vendre ma voiture pour payer les factures », a-t-i1 révélé. Les choses sont un peu différentes maintenant. Il y a d’abord eu le livre Histoires de jungle, et rnainte­nant Raoni, l'histoîre de sa tournée mondiale. Contrairement au premier, seulement la moitié des royalties ira à la Fondation.

Le fric est un délicat sujet de conversation, surtout quand il s’agit d’une oeuvre charita­ble. Dutilleux répond, pour se justifier, qu’il est photographe et qu’il gagne sa croûte en vendant ses photos et ses articles. Il dit avoir donné presque la moitié de ses gains soit à Raoni soit à la Fondation et ajoute, un moment plus tard, qu’il leur a donné plus de 100 000 dollars. Faites le calcul...

La carrière de Sting n’en a sûrement pas souffert. Il s’est retrouvé bien au-dessus du niveau de la simple star du rock. Que cela ait amélioré ses recettes au box-office en tant qu’ac­teur, c’est à voir, mais tout cette pub gratos n’a pas pu lui faire de mal.

L’éthique est discutable, mais, après tout, aucune loi ne précise qu’il est nécessaire de faire voeu de pauvreté pour défendre une cause en laquelle on croit. Mais utiliser des méthodes mensongères pour faire appel à la générosité du public, c’est autre chose. En fait le public est sollicité pour financer une campagne publicitaire qui prépare le marché pour la vente du livre et une demande plus importante de donations. Ça ressemble à une fusion de réactions multiples qui atteindrait une certaine taille, se stabiliserait, puis augmenterait de taille et se stabiliserait de nou­veau. Le public, tout au long de l’opération. a fourni le fric nécessaire.

A part l’effort constant porté sur les relations publiques, où donc va l’argent ? A quoi sert le million et demi de dollars qu’a pu recueillir la fondation internationale ? A protéger la forêt vierge ? Non. A protéger les Indiens qui y vivent ? Non. A quoi donc, alors ? Ils ont acheté un avion. Superbe, presque neuf, c’est un Piper Seneca bimoteur. Il a coûté entre 160 000 et 200 000 dollars.

Trudie Styler explique cet achat : elle et Raoni sont allés “oir un fonctionnaire de la FUNAI. Dans le bureau, un désaccord surgit et le fonc­tionnaire dit : « Ces gens ne sont pas tes amis, Raoni. Moi, je suis ton ami. Ne t’ont-ils pas promis un avion ? Et maintenant qu’ils ont tout cet argent, l’ont-ils acheté ? Ils t’ont menti Raoni. Ils ne sont pas tes amis. » Accrochez vos ceintu­res!! Précisons que toutes les fondations nationa­les n’ont pas donné leur accord. La fondation belge a refusé sa participation, même si c’est le père de Dutilleux qui en est le président.

Est-ce que ça va aider à protéger la forét? Sûrement pas, quand il faut déboiser pour ouvrir une piste d’atterrissage. Mais ça va créer des emplois, à moins qu’ils puissent apprendre le pilotage et la mécanique à Raoni.

Il y a aussi le programme médical de la fondation internationale pour combattre la mala­ria. Utilisation apparemment impressionnante des donations qui, en fait est dérivée d’un plan de relogement du village de Raoni. Tout vient du fait que Raoni est atteint de malaria. Un médecin l’a examiné, lui et d’autres Indiens. La prescrip­tion n’a pas été un traitement antimalaria conventionnel ni un insecticide antimoustiques. Il a recommandé que Raoni et sa tribu déména­gent dans une autre partie de l’Amazonie.

Le neveu de Raoni, directeur du Parc national de Xingu, a évalué l’opération à 30 000 dollars. Le responsable de la FUNAI brésilienne qui surveille les Kayapos et doit donner son accord pour une opération de ce genre aurait, dit-on, bien rigolé en entendant ça. Selon Trudie Styler, il aurait dit: « D’où sortez-vous ce chiffre ? Ça coûtera 150 000 dollars. Donnez~moi 150 000 dollars et je les laisse partir. » Voilà un homme qui sait comment exploiter la forêt vierge! Résultat: le budget du “programme médical” se situe quelque part entre 30 000 et 180 000 dollars. Est-ce que ça aidera à protéger la forêt vierge ? C’est peu probable.

Dernier point : la Fondation pour la forêt vierge de Sting va-t-elle faire quelque chose qui protégera vraiment la forêt vierge ? Très peu probable. Il est même sûr que l’argent qu’ils essaient de collecter ne servira strictement a rien. Pour commenter ce fiasco, c’est Trudie Stylcr qui résume le mieux la situation : « Je sais bien que c’est un affreux gâchis, mais nos corurs sont purs... « Les coeurs purs font parfais d’étranges erreurs de jugement que les médias aiment bien couvrir. Aux deux sens du mot. *

XXXXXXXXXXXX DROIT DE REPONSE XXXXXXXXXXX

REPONSE DU COMITE DIRECTEUR DE LA RAINFOREST FOUNDATION

Sting, actuellement aux Etats-Unis où il joue le rôle de Macheath dans l’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht, a reuni, le 14 decembre 1990, les respon­sables de la Rainforest Foundation (Gil Friesen, Franca Sciuto, Trudie Styler) ainsi qu’Olinipio Serra, responsable de la Fondation au Brésil, qfin de répondre avec eux aux questions que nous lui avions envoyées de Paris. En effet, il nous est apparu que l’excellente enquête de Mark Zeller, journaliste basé en Europe, ne devait pas être publiée sans que Sting puisse s’exprimer. Il existe une terrible ambiguité dans la nature même de l’engagement d’une star. Quand bien même il ne chercherait à tirer aucun profit personnel de son action, il en tire un. Ainsi, la présence de Sting dans l’émission de Jean-Pierre

Foucauld sur TFI, Sacrée Soirée, avec le chef Raoni, regardée par plusieurs millions de person­nes, ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur la notoriétè du chanteur.

Il n’est pas question pour nous de critiquer un engagement par principe. En effet, comment mieux vendre une “noble” cause à un public saturé de sollicitations, si ce n’est par une stratégie marketing forte et décidée ? Et quel meilleur atout pour briser l’indifférence des médias et des sentiments qu’une star devouée ? Mais, si nous voulons que ces engagements de stars portent leurs fruits, il est essentiel que chacun d’eux fasse l’objet d’un exa­men attentif. * -Le Redaction

REPONSE:

« Sting et le chef Raoni ont rencontré le président Sarney au printemps 1989. Ils ont vite compris qu’il ne cherchait qu’à gagner du temps et qu’il ne croyait pas un instant que leur initia­tive déclencherait un tel intérét au Brésil comme dans le monde entier. C’est alors que la Funda­çào Mata Virgem a été créée. Son conseil de direction, composé de Brésiliens, de scientifiques respectés, de biologistes et d’autres experts, soutient une stratégie à long terme destinée â sauver la forét amazonienne. Leurs conseils sont d’une importance inestimable. Le but de la Fondation n’est pas d’envoyer de l’argent aux Indiens directement. Cela créerait plus de pro­blémes que cela n’en résoudrait.

« Au printemps, Sting et Raoni ont parcouru le monde afin d’expliquer les problèmes que ren­contraient les Indiens dans la forét amazonienne. Ils ont rencontré des chefs d’Etat, des experts de l'environnement, de la protection de la nature, des droits de l'homme et des droits des Indiens dans quinze pays. Ils ont parlé aux médias et levé des fonds à travers des émissions de télévision et auprès de particuliers intéressés par leur combat.

Bien que la campagne ait été plutôt improvisée et quelque peu bordélique, nous avons fait du bon travail. Des millions de personne ont entendu le message du chef Raoni qui a parlé avec passion et clarté. Nous sommes convaincus que beau­coup de gens ont compris le problème parce que, pour la première fois, ils ont pu l’identifier à une personne. Nous avons dépeint la défores­tation comme une conséquence de la cupidité, de la pauvreté et de la dette et avons insisté sur leurs origines internationales.

« Cette tournée mondiale s’est autofinancée les chaînes de télévision ont réglé les notes. Nous avons même levé des fonds, pas beaucoup, mais enfin c’était un début. Au fur et à mesure, nous avons réalisé que même si nous avions une aide d’urgence à apporter, c’étaient des solutions àlong terme qui devaient mobiliser nos efforts. Les recommandations et conseils des experts nous ont convaincus que traiter un problème a coups de millions créait de nouveaux problèmes.

« Les Indiens ont besoin d’une aide interna­tionale pour lutter légalement et politiquement contre les forces du “développement”. Bien qu’une partie des fonds déjà levés aient été utilisés pour fournir une aide médicale aux Kayapos et plus récemment aux Yanomami ainsi que pour éloigner le village de Raoni de la malaria, ce sont les solutions à long terme qui retiennent l’essentiel de notre attention. Et pour cela, il faut une organisation, des professionnels salariés et des experts.

« Nos appels à la télévision ont été efficaces parce qu’ils ont révélé au public qu’à moins d’agir, la forêt amazonienne et ses habitants mourraient. Le réchauffement de la planète est un fait effrayant aussi. Et brûler l’Amazonie y contribue. Les scientifiques s’accordent à dire que cette déforestation aura pour conséquence des bouleversements écologiques et climatiques. Quant aux tremblements de terre, les responsa­bles de la Fondation persistent: les scientifiques n’ont peut-être pas encore démontré l’impact du réchauffement de la planète sur les systèmes géologiques, mais les problèmes écologiques sont liés. Comme l’a dit Sting: « La terre semble nous envoyer des messages clairs avec une fréquence et une férocité accrues. » Nous som­mes d’accord pour dire que nos appels à la télévision étaient alarmants, mais efficaces dans un premier temps pour faire prendre conscience au public de ce qui se passe.

« Le premier objectif de la fondation consiste à étendre le Parc national de Xingu et d’y inclure le Pukane, le Kuben Kokre et le Bau. Mais les ressources de la Fondation sont limitées. Et notre sentiment est qu’un pas à la fois est préférable à l’immobilisme. Le parc de Xingu, dont vous affirmez qu’il est “protégé”, souffre d’invasions et d’un manque endémique de centres médicaux. A ce jour la Fondation brésilienne a:

1. déplacé le village de Raoni

2. appuyé des prograrnmes médicaux à Xingu

3. appuyé les Indiens dans leur lutte pour cliasser les mineurs des terres des Yanomami

4. participé à un programme médical d’ur­gence pour les Yanomami

5. continué à appuyer les actions engagées afin de démarquer et protéger le territoire de Kuber Kokre. Cette démarcation a été promise par le gouvernement brésilien depuis sept ans et la Fondation fait tout ce qu’elle peut pour obliger le pouvoir à tenir ses engagements constitution­nels.

« La Fondation est profondément reconnais­sante à Sting pour son engagement sincère aux côtés des peuples indigènes de la forêt amazo­nienne pour la protection de leur terre. Début décembre, le chef des Yanomami est venu à Lendres afin de parler du génocide de son peuple. Un seul journaliste est venu l’écouter: il n’y avait pas de rock star pour attirer la presse. La Fondation, comme d’autres organisations humanitaires, constate une triste réalité: les faits de société sont largement couverts par la presse quand une personnalité est impliquée. L’hypo­crisie de la presse est d’autant plus évidente que les rock stars font aussi vendre les journaux qui choisissent d’attaquer leurs engagements. Mais c’est une conséquence de la notoriété que Sting connaît bien et qui ne l’empêche pas de monter en première ligne. Il pourrait rester chez lui et éviter ainsi les inquisitions des journalistes qui s’arrogent le rôle de juge.

« Sting n’a reçu aucun remboursement ou honoraires ou paiement d’aucune sorte pour son travail. Il n’a perçu aucun bénéfice de la Fonda­tion. Depuis son engagement, il n’a sorti aucun produit sur le marché international. Il n’a pas écrit de chansons sur la cause et n’en a pas l’intention. Il ne veut exploiter le problème en aucune manière et considère que la complexité des enjeux ne conduit à aucune interprétation artistique. En ce qui concerne la publicité, il est notoire que quand on n’a rien à vendre on ne se montre pas à la télévision partout dans le monde à moins d’avoir une bonne raison. L’avance qu’a reçue Sting pour le livre Jungle Stories a été immédiatement reversée à la Fondation, ainsi que les honoraires pour les articles qu’il a écrits. Toutes les royalties du livre seront reversées à la Fondation. » *

Note de Redaction: Nous avions soumis à Sting une série de questions concernant son implication dans la Rainforest Foundation et l’enquête menée pour Rolling Stone. Il a choisi de ne pas y répondre. Il a preféré se refugier derrière le comité de direction de la Fondation, qui a envoyé le texte ci-dessus. Ce texte contient des demi-réponses et, dans certains cas, aucune réponse aux questions posées.

Nous voulions savoir si le projet de démarcation n’était qu’un bon prétexte pour lever des fonds, comme Sting l’a lui-même écrit dans la version anglaise du livre Jungle Stories, page 127. Nous sommes heureux de constater que le comité direc­teur de la Fondation confirnie ce point.

Le comité directeur de la Raînforest Foundation, réuni le 14 décembre pour répondre à nos ques­tions, en présence de Sting, n’a toutefois pas éclairci un autre point que nous soulevions dans nos questions, à savoir si les fonds levés auprès du public seraient attribués au gouvernenient brésilien et s’il pensait que le gouvernement brésilien utilisait son action dans le cadre de son programme "échange dette/nature”?

Par ailleurs, la réponse concernant le montant des fonds récoltés est pour le moins vague.

Nous sommes heureux de constater que le comité directeur de la Fondation reconnaît que la protec­tion et la démarcation des territoires indiens sont inscrites dans la Constitution brésilienne et que, par conséquent, l’argent levé auprès du public pourrait soit atterrir dans les caisses dudit gouvernement ou etre utilisé à d’autres fins que celles qui ont été avancées pour convaincre les donateurs.

Enfin, nous demandions si Sting avait voulu jouer sur la peur pour lever des fonds, puisque dans son clip il affirmait que les tremblements de terre étaient une conséquence du réchauffement de la planète ? La réponse, là, est presque comique.

Le comité directeur de la Rainforest Foundation, dont Sting est le porte-parole public, voudrait-il dire que mentir au public pour lever des fonds est justifié à partir du moment où les intentions sont pures ? *